Le Mal N'Existe Pas

25 avril 2024
Le dernier film de Ryusuke Hamaguchi était attendu par la critique, après le très acclamé Drive my car, qui avait eu l’oscar du meilleur film étranger et le prix du scénario à Cannes en 2021.  Son successeur a de ce point de vue comblé les attentes en raflant le prix de la mise en scène à la Mostra de Venise.
Initialement, le film devait simplement consister à mettre des images sur la musique de Eiko Ishibashi, compositrice attitrée du réalisateur, qui souhaitait d’une certaine manière illustrer cinématographiquement ses compositions. Et peu à peu cela a donné une trame à cette fiction admirable qu’est le mal n existe pas.


Fable écologique?
Un peu, mais je crois que c’est beaucoup plus qu’un film à thèse. Le pitch, rapidement : on suit une petite communauté rurale japonaise, en marge du tempo effréné mondialisé, par le biais d’un père veuf, Takumi, et de sa fille, Hana. Takumi est homme à tout faire et aime marcher avec sa fille, en lui apprenant notamment à nommer les végétaux. Ils côtoient également une cantine, restaurant de nouilles udon cuit dans l’eau de source, le tout dans une forme de simplicité telle qu’elle a paradoxalement quelque chose de marginale. Jusqu’au jour ou un projet de glamping, venu de la capitale, et vendu par des communicants vient entraver cette tranquilité quotidienne

Le glamping??
C'est un concept de camping-glamour, ou glamour camping donc; de cette famille de projets maquillés en vert, du green washing à la sauce kawaï, qui sous couvert d’offrir une parenthèse déconnectée à des vacanciers, vient détruire tout un écosystème. Sans en dévoiler trop, il est question d’eaux usées qui viennent se repandre dans l’eau de source potable des habitants, celle également dans lesquelles sont cuites les fameuses nouilles Udon de la cantine, et les échanges entre l’abstraction des communicants, et la réalité concrète des habitants sont aussi poignants que merveilleusement interprétés.


"Le mal n’existe pas"?
C’est toute la force poétique du film : loin d’être comme je le disais un simple film à thèse ou un pamphlet avec d’un côté les gentils ruraux et les méchants citadins, il y a toute une forme de subtilité, mais aussi d’ironie, de retournement de positions, qui en font un film presque choral. Avec un mélange de tendresse et d’ironie, on voit ainsi le communiquant Tokyoïte reconsidérer sa carrière une fois qu’il a coupé une buche, comme si cela faisait de lui un rural. Evidemment, il y a une fable sur le crépuscule écologique que l’on est en train de vivre, et sur l’inconséquence des comportements, mais le mal en tant que tel ne semble pas inhérent aux hommes, si ce n’est par maladresse, comme en témoigne la scène finale, où il est question d’un cerf, puisqu’il s’avère que le lieu d’implantation du fameux glamping est sur le passage des cerfs.

Vous pouvez y aller en courant, y compris si vous avez peur des films plutôt lent et contemplatifs. Le générique de début, des arbres en contre plongé avec la musique hypnotique de Ishibashi relève de la magie pure, et nous fait pénétrer lentement dans l’univers du cinéaste, à la manière d’un sas de décompression. Et la manière de mettre en scène les promenades avec sa fille, le cynisme peu a peu désamorcé dès communicants ou la présence des cerfs est réellement magistrale.


La bande son qui va sortir prochainement sur le label mythique de chicago drag city (celui de bonnie prince billy ou de bill callahan par exemple, qu’on a souvent entendu dans 33 tours minutes) est donc signée par eisho ishibashi et mixée entièrement par le légendaire Jim O rourke. On en écoute un extrait ici, aussi calme qu’hypnotique, mais qui permet de donner une idée des ambiances sonores de ce qui est assurément un des films de l’année.

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