La Salle Des Profs

19 mars 2024
Avec sa « salle des profs », le réalisateur allemand Ilker Katak nous propose un thriller psychologique oppressant, en huis clos intégral - et assez magistral, dans un collège.


Un mélange de genre assez rare

Oui, et pour en avoir vu beaucoup, par intérêt ou déformation professionnelle, les films sur le collège sont presque devenus un genre à part entière, en tout cas dans le cinéma français récent. Qu’il soient  réussis ou non, et qu’il s’agisse de comédie  comme  « la vie scolaire », de tableau à vocation réaliste vu du côté des profs, avec « un métier sérieux » de Thomas Litli, ou de fresque sociale comme « entre les murs » de Laurent Cantet, palme d’or en 2008 et l’une des inspirations du film de Katak, le film de collège passe rarement inaperçu et semble même devenir bankable pour les productions, puisqu’il en sort encore un nouveau dans deux semaines, dont on reparlera ici: «  pas de vague », avec François Civil.

Ici le film de collège n’est pas une fin en soi, c’est un cadre, un espace, qui vient servir de lieu au déroulement d’un scénario aussi réaliste qu’oppressant, tiré au cordeau tout au long de l’ heure quarante de film. c’est un peu comme si on faisait infuser dans le film de collège une haute dose de ce que le ciné allemand ou autrichien a peut être su produire de meilleur,  à savoir des thrillers psychologiques à rester scotché sur son siège. Michael Haneke est passé par là; et de Funny Games à Benny’s video, l’influence du cinéaste autrichien sur celui de katak est évidente. Nulle violence physique, ou très peu, cependant, ici. Tout est affaire de pression psychologique, d’oppression mentale, vécue par la personnage principale, Carla Nowak, interprétée par léonie Benesch, que l’on a pu croiser dans The crown ou encore dans le ruban blanc, de michael haneke justement.  Une oppression progressive qui confine peu à peu à l’irrespirable pour la personnage principale et pour le spectateur également.


Au travers du collège et de ses dérèglements, ce sont toutes les failles d’une machine, administrative, étatique, mais surtout humaine, qui sont auscultée ici.  Des failles qui s’immiscent dans les interstices aussi étroit soit il. Le film s’ouvre d’ailleurs sur une démonstration mathématique, pour savoir s’il existe quelque chose entre un 0,99999 9 et une  et le nombre 1. Clara novak est enseignante de maths et de sport (en allemagne les enseignants font deux matières), et elle incarne cette rigueur mathématique et sportive dans sa droiture.
c’est par volonté de justice et bienveillance qu’elle en viendra à se détourner un moment de sa droiture, un écart infinitésimal dont les conséquences la dépasseront. Un espace minuscule qui,laissera pourtant entrer tous les vents et leurs contraires


Sans vouloir trop en dévoiler sur le film, disons simplement que ce huis clos dans un collège permet d’en faire une forme de société réduite, avec ses règles, le règlement intérieur propre au collège, ses propres médias avec le journal des élèves, ses conférences de presse avec les réunion parents profs, qui se transforment peu à peu en tribunaux. Ses travers également, avec la question du racisme en particulier, dont le réalisateur d’originie turque a été victime durant son parcours, et dont il est question dans le film, mais là encore je ne veux pas en dévoiler trop sur le scénario.  Pour rester sur le huis clos, précisons qu’une  grande partie du suspense ou de l’oppression est renforcée par le  point de vue, ici celui de l’accusé, ou du coupable selon ou vous vous situez, le tout sans jamais sortir des abords du collège, ce qui crée un sentiment de confinement d’étouffement et  un désir d’appel d’air.  Cela sera d’ailleurs parfaitement mis en lumière dans deux scènes emblématiques du film, que je vous laisse découvrir en salle. Le cadrage du film, tourné avec une  pellicule en 4/3, ce format phare des films jusque aux années 50, vient, par son coté resserré, renforcer le sentiment d’enfermement. Un Procédé qu’avait par exemple utilisé Xavier dolan  dans son film Mommy en utilisant un format totalement carré pour marquer le sentiment d’etouffement psychologique puis de libération de ses personnages en élargissant le cadre. Pour revenir au film de katak on se situe dans cette grande famille des films vécus par les coupables ou les accusés, qu’il s’agisse de la corde de hitchcock, un chef d’oeuvre du huis clos, ou de Mystic River de Clint Eastwood.

Recommandé à 100%, sauf si vous avez besoin d’un film pour vous libérer les esprits ou vous divertir. j’avoue être allé le voir un dimanche soir et le film ne colle pas trop avec ce qu’on peut attendre du film léger pour faire passer la fin du week-end. Mais c’est probablement à ce jour le film contemporain se passant dans un collège qui m’a le plus fait d’effet. Signe qualitatif, le film a  eu une pluie de récompense du deutscher film preiz, l’équivalent allemand des césars: meilleur film, meilleure réalisation, meilleur scénario, meilleur actrice et meilleur montage. Nominé pour l’oscar du meillleur film étranger, il ne l’a néanmoins pas obtenu dimanche dernier, laissant sa place à un autre film tourné en allemand, la zone d’intérêt dont nous avons déjà parlé ici..
 
Si je devais chercher l’aiguille pour trouver un point négatif à ce film, ce serait peut être de ce coté. les sons de cordes en trémolo, si elles illustrent la tension psychologique, constituent presque un poncif en la matière, et ne sont pas de mon point de vue à la hauteur du film. Je vous laisse avec un titre de leonard cohen, teachers, dans lequel il pose la question « are you a teacher of the heart », es-tu un enseignant du coeur, ce qui colle parfaitement au personnage de Novak dans le film et à la très belle scène de cloture du film.


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